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Et la Momie (Toutankhamon) révéla ses Secrets |
 
 

E.R. - SCIENCE & VIE HS N°286 > Avril > 2019 |
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Néfertiti : Elle serait Finalement la Mère de Toutankhamon |
Il y a trois ans, l'ADN de la momie "Young Lady" révélait que celle-ci était la mère de Toutankhamon... et sa tante ! Exit la reine Néfertiti ? Pas si sûr : elle pourrait justement être "Young Lady", en vertu des mours de l'époque.
C'est par le jeu de cousinages au sein de la lignée royale que, finalement, "Young Lady", mère du petit roi, pourrait bien être la légendaire reine Néfertiti.
On se souvient de la stupéfaction qui, en 2010, s'empara du monde de l'égyptologie : une étude dirigée par Zahi Hawass, figure de proue de l'archéologie pharaonique, donnait un coup de pied dans la fourmilière généalogique de Toutankhamon ! L'ADN de dix momies royales pouvant prétendre à un lien de parenté avec le petit roi avait été passé au crible, permettant d'y repérer les dépouilles de son père (Akhenaton) et de sa mère. Une vive surprise : selon leur patrimoine génétique, les deux parents devaient être... frère et sour !
MARIAGES ENTRE COUSINS
Or, jusqu'ici, les prétendantes à la maternité de Toutankhamon étaient Kiya, une épouse secondaire d'Akhenaton, et Néfertiti, l'épouse principale, dont il a été établi qu'elle n'est pas une sour du pharaon. Elle ne pouvait donc plus être la mère du petit roi ! D'après l'ADN, sa mère serait cette sour anonyme d'Akhenaton se cachant sous les bandelettes de la mystérieuse momie KV35YL (YL pour Young Lady). Mais en ce début 2013, nouveau coup de théâtre lors d'une conférence à Harvard, l'égyptologue Marc Gabolde, de l'université Paul-Valéry, à Montpellier, réhabilite la reine. Et si la fameuse KV35YL était Néfertiti ? Leur proximité génétique serait due à des mariages entre cousins des générations précédentes, ce qui aurait brouillé une information génétique difficile à interpréter... "Mon hypothèse est que Néfertiti était une cousine d'Akhenaton, lui-même le fruit d'une union entre cousins, Aménophis III et Tiyi... Et que les parents de Néfertiti seraient de la famille de Tiyi". Un nouvel arbre qui s'appuie notamment sur les similitudes entre les ADN d'Aménophis III et de son beau-père Youya, non expliquées précédemment.
Marc Gabolde a transmis son travail à Albert Zink, collaborateur de l'étude de 2010 : 'Il m'a confirmé que bien qu'hypothétique, cet arbre était logique génétiquement parlant". Et l'égyptologue est également persuadé que Néfertiti aurait eu un fils, en plus de ses six filles connues avec Akhenaton. Son argument : des bas-reliefs de la tombe royale d'Amarna qui représentaient un enfant mâle dont le texte associé précise sans ambiguité qu'il est né de la grande épouse royale Néfertiti"...
E.R. - SCIENCE & VIE > Avril > 2013 |
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Toutankhamon : Son ADN a révélé ses Secrets de Famille |
Depuis sa découverte en 1922 par Howard carter, le jeune pharaon Toutankhamon n'a cessé d'intriguer : qui étaient ses parents ? Pourquoi mourut-il si jeune ?
Les résultats de l'étude d'une dizaine de momies royales publiée en février 2010 par Zahi Hawass, du Conseil suprême des antiquités égyptiennes, étaient ainsi très attendus. Verdict ? Si son père fut bien Akhenaton, sa mère ne serait pas Néfertiti (dont la momie n'est pas identifiée), mais une inconnue dont l'ADN a révélé qu'elle était sa tante... la sour d'Akhenaton. Il s'agit donc ici d'un inceste royal (voir article suivant).
L'analyse des fotus trouvés dans la tombe de Toutankhamon a par ailleurs confirmé qu'il en était le père. Et désigné une momie comme la mère, mais sans établir s'il s'agit d'Ankhesenpaaton, sa seule épouse connue. Enfin, le débat sur son assassinat n'a plus lieu d'être. Loin de se révéler un puissant dieu vivant, Toutankhamon était en effet un jeune homme atteint de paludisme et d'une maladie génétique, l'anémie falciforme. Du fait de ses os fragiles et de ses pieds déformés, il marchait sans doute avec une canne. Une forte crise de paludisme aggravée d'une fracture de la jambe aurait finalement causé sa mort.
E.R. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2011 |
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Toutankhamon Cherche Toujours sa Mère |
Selon les dernières analyses ADN, le jeune pharaon serait le fils d'une inconnue et non de la célèbre Néfertiti. Est-ce si sûr ?
C'est un bien vieux et prestigieux arbre généalogique qui aurait enfin retrouvé toutes ses branches ! Grâce aux analyses génétiques publiées le 17 février par l'équipe de Zahi Hawass, le patron du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes, Toutankhamon, le royal orphelin, a désormais un père - Akhenaton -, un grand-père - Amenhotep III - des arrière-grands-parents, des enfants... mais surtout une mère ! Qui ne serait pas comme on le croyait, la belle Néfertiti, épouse d'Akhenaton, ou Kiye, sa favorite, mais une inconnue, dénommée faute de mieux "Younger Lady" (voir plus bas). Jusque-là, le tableau de famille était un peu flou. Car si Toutankhamon doit sa célébrité à l'extraordinaire trésor découvert dans sa tombe par le Britannique Howard Calter en 1922, il appartient aussi à une période exceptionnelle mais confuse de l'histoire égyptienne. Il a succédé à un pharaon hors norme : Amenhotep IV - Akhenaton (1350-1333 avant J.-C.). Alors que l'Égypte est demeurée durant près de deux millénaires un monde figé dans ses traditions, ce dixième pharaon de la XVIIIe dynastie (1550-1291 avant J.-C.) décide d'abandonner le culte d'Amon-Rê, le "Caché", et la capitale de l'empire, Thèbes (l'actuelle Louxor), pour fonder, au milieu du désert, en Moyenne-Egypte, une cité tournée tout entière vers la divinité du disque solaire, Aton. L'hérésie de ce réformateur religieux ne lui sera pas pardonnée.
Après sa mort, en l'an 17 de son règne, sa nouvelle capitale, Amarna, est détruite, la nécropole pillée et les momies royales perdues. De quoi alimenter des décennies d'âpres débats chez les égyptologues qui se voient confrontés à un double casse-tête. D'une part, les vestiges d'Amarna ne permettent pas d'avoir une certitude sur les liens de filiation entre Toutankhamon et Akhenaton. Encore moins entre Toutankhamon et Néfertiti, qui est l'épouse principale du pharaon, mais pas l'unique. D'autre part, à partir de la fin du XIXe siècle, des momie royales non identifiées sont retrouvées dans des caches de la Vallée des Rois (->), près de Thèbes où le pouvoir s'est réinstalli après la parenthèse amarnienne. Parmi elles, certaines pourraient appartenir à la famille de Toutankhamon. Mais qui est qui ? C'est pour mettre fin à ces débats que les chercheurs du Laboratoire de génétique du Musée égyptien du Caire, rejoints par des spécialistes de l'université de Tubingen (Allemagne) de l'Eurac (European Academy of Bolzano), l'institut des momies de Bolzano (Italie) décidentde comparer l'ADN de Toutankhamon avec celui de dix momies du Nouvel Empire datant de 1410 à 1324 avant J.-C., certaines identifiées, d'autres non, mais toutes présumées appartenir à sa famille proche. Cinq autres, d'une période antérieure (entre 1550 et 1479 avant J.-C.), rejoignent l'étude comme groupe de contrôle.
 Entre septembre 2007 et octobre 2009, les scientifiques réalisent plus de 55 biopsies pour prélever des échantillons de tissus osseux afin d'en comparer les empreintes génétiques. Une entreprise délicate sur ces corps millénaires qui ont subi à leur mort de multiples manipulations et traitements en vue du voyage dans l'au-delà. "Mais, explique Arma Degioanni, du Laboratoire d'anthropologie biologique CNRS de l'université de la Méditerranée à Marseille, les momies égyptiennes sont préparées de telle façon qu'il n'y a plus d'échange d'oxygène entre le corps et l'extérieur, ce qui réduit fortement les problèmes de dégradation, c'est-à-dire de cassure, auxquels se heurte souvent l'analyse d'ADN ancien". L'équipe égyptienne met en ouvre des techniques de pointe. Il y a encore cinq ou six ans, les paléogénéticiens travaillaient essentiellement sur des molécules d'ADN dit mitochondrial : présentes en milliers d'exemplaires identiques dans le cytoplasme de la cellule, elles sont aisées à reconstituer. Mais cet ADN n'est transmis que par la lignée maternelle. "L'ADN nucléaire, présent dans le noyau des cellules, est plus intéressant pour la filiation, précise Anna Degioanni : il est constitué de 23 paires de chromosomes, que nous recevons par moitié de notre père, par moitié de notre mère. En revanche, chacun n'existe qu'en une seule copie ce qui les rend difficiles à reconstruire". Grâce aux progrès de la biologie moléculaire, les chercheurs du Musée égyptien du Caire ont donc pu travailler sur cet ADN nucléaire. Une première série d'études a porté sur seize marqueurs provenant du chromosome Y transmis de père en fils. La seconde sur huit marqueurs venant de chromosomes non sexués, ou autosomiques (schéma ci-dessous). Ces analyses ont été répétées et répliquées plusieurs fois dans deux laboratoires indépendants. De plus, pour exclure toute contamination possible avec de l'ADN moderne, le profil génétique de chaque membre de l'équipe a été régulièrement comparé avec ceux des momies.
LA GÉNÉTIQUE AU SERVICE DE LA GÉNÉALOGIE ÉGYPTIENNE
L'ADN nucléaire humain est constitué de 23 paires de chromosomes, la moitié transmise par la mère, l'autre par le père. La 23è paire est différente selon le sexe : XX pour les femmes, XY pour les hommes. Les 22 autres sont dits autosomes. L'équipe a étudié des marqueurs de 8 de ces chromosomes autosomes. Il s'agit de séquences de microsatellites dont le nombre de répétitions correspond à une variété d'un même gène. Schéma gauche, le gène FGA (Alpha FibroGène) qui se trouve sur le chromosome 4. Sa séquence est ici de 12.
Dans cette colonne ( schéma de droite) sont indiquées les séquences du gène FGA retrouvées sur les différentes momies. Chaque individu présente deux variantes, l'une issue du père, l'autre de la mère, ce qui permet de déduire les filiations. Par exemple Youya transmet FGA 20 à sa fille Tiyi, qui le transmet à son fils Akhenaton et à sa sour épouse, la Younger Lady. Quant à FGA 23, il passe d'Amenhotep III à son fils Akhenaton et sa fille la Younger Lady. On le retrouve en double exemplaire chez leur enfant Toutankhamon, dont on dit alors qu'il est homozygote pour FGA : être homozygote pour plusieurs gènes est un indice de consanguinité. |
 Deux ans de travail minutieux pour aboutir à des confirmations, mais aussi des révélations ! Parmi ces momies de la XVIIIè dynastie, celles de Touya et Youya, découvertes et identifiées en 1905 dans leur tombeau de la Vallée des Rois, le KY46 (pour King Valley numéro 46, selon la nomenclature traditionnelle), se retrouvent bien sur les branches de l'arbre généalogique comme arrière-grands-parents de Toutankhamon (schéma ->). La momie d'Amenhotep III est aussi confirmée comme étant celle du grand-père de l'enfant-roi. Mais une momie restée anonyme, retrouve son identité : il s'agit de Tiyi, la grand-mère. Et, surtout, Akhenaton identifié avec certitude. Sa dépouille était jusque-là répertoriée sous le nom de KY55, une énigmatique tombe exhumée en 1907 par Edward Russel Ayrton. Dans cette sorte de "remise", on avait retrouvé du mobilier funéraire disparate aux noms de la reine Tiyi, d'Akhenaton ou de Kiye, et une momie couchée dans un cercueil doré dont des profanateurs avaient effacé les cartouches - ces dessins de forme ovale qui renferment le nom du pharaon.
Les égyptologues ont longtemps spéculé sur l'identité de ce corps. Les analyses génétiques confirment aujourd'hui qu'il s'agit bien d'Akhenaton, et qu'il est le père de Toutankhamon. "Le pharaon a sans doute d'abord été enterré dans une des tombes qu'il avait fait creuser à Amarna, raconte Pascal Vemus, l'éminent égyptologue de l'EPRE (Ecole pratique des hautes études). Après la chute de la cité et le pillage de la nécropole, Toutankhamon, très probablement, a pieusement recueilli les restes des inhumations royales, pour les mettre à l'abri dans la Vallée des Rois". "L'identification de cette momie est intéressante, poursuit le spécialiste. Cependant, qu'Akhenaton soit le père de Toutankhamon n'est pas vraiment une découverte. Il y avait discussion, mais depuis des années les indices archéologiques s'accumulaient".
Fin 2008 encore, un fragment de pierre provenant d'Amarna, réuni à un autre bloc trouvé dans les réserves du musée du Caire, avait permis de lire cette inscription : "Toutankhaton, le fils du roi de son corps". "Une expression usuelle en Égypte pour souligner qu'un prince était bien le fils charnel d'un roi", précise Pascal Vernus. Pour l'égyptologue, il faut plutôt chercher la femme dans cette nouvelle étude génétique. Car la véritable révélation concerne la mère du petit roi mort à 19 ans. Et, là, tout n'a pas encore été dit... Selon les résultats annoncés par Zahi Hawass, la génitrice de Toutankhamon serait, contre toute attente, une inconnue et non la légendaire Néfertiti, hypothèse pourtant privilégiée depuis des décennies par la majorité des égyptologues. C'est en effet une momie anonyme qui a livré les preuves génétiques de maternité. Connue sous le nom de KV35YL, elle a été retrouvée dans un des plus incroyables tombeaux de la Vallée des Rois, KV35, sépulture originelle d'Amenhotep II. En 1898, l'archéologue français Victor Loret y découvre le sarcophage du pharaon et, dans une chambre annexe, une douzaine de momies entassées avec d'autres restes humains : squelette, bras momifié... Parmi les dépouilles, certains rois prestigieux identifiés par leur nom, tels Ramsès IV, Toutmosis IV, Siptah... cachés là par des prêtres lors d'une période de troubles politiques (carte ->). Mais surtout deux momies de femmes, l'une semblant plus jeune que l'autre, que l'on appellera respectivement Younger Lady - la plus jeune des femmes - (KV35YL) et Elder Lady - l'ainée - (KV35EL). "Tout a été dit et son contraire sur ces deux corps, raconte Pascal Vernus. Il faut savoir qu'au XIXè siècle, les expertises étaient rudimentaires. Certaines momies ont été identifiées comme des hommes alors qu'il s'agissait de femmes, et inversement".
Finalement, à la lueur des études génétiques, la Younger Lady se révèle donc la mère de Toutankhamon. Mais pas seulement ! Les marqueurs génétiques montrent qu'elle est aussi la fille d'Amenhotep III et, par conséquent, la sour d'Akhenaton. Toutankhamon serait ainsi le fruit d'un inceste royal.
"L'inceste royal frère-sour obéissait à une stratégie politique"
PASCAL VERNUS, égyptologue, auteur du "Dictionnaire amoureux de l'Egypte pharaonique" (Plon)
Toutankhamon est le fruit d'un inceste royal. Une pratique courante ?
Il faut faire une distinction très nette entre la période pharaonique, qui va de 3000 avant J.-C. à la conquête d'Alexandre en 331 avant J.-C., et l'Égypte sous domination grecque puis romaine jusqu'à l'empereur Théodose au IVè siècle après J.-C. Pour ce qui est de la période pharaonique, l'égyptologue Jaroslav Cerny a réalisé des études généalogiques sur plusieurs centaines de familles. Elles montrent que, dans le peuple, les cas d'inceste sont extrêmement rares : deux ou trois peut-être, et encore ne s'agit-il que de mariages entre collatéraux, frères et sours ou frères et demi-sours. En revanche, au sein de l'élite dirigeante, surtout chez les pharaons, les exemples abondent. Mais attention, à nouveau, il s'agit de mariages entre collatéraux, comme celui de Toutankhamon et sa sour ou, on le sait désormais, d'Akhenaton et de Younger Lady. En revanche, les incestes au premier degré entre père et fille ou mère et fils sont rarissimes ! Voire inexistants. On ne cite que deux cas : Amenhotep III qui aurait eu des relations avec deux de ses filles, Satamon et Isis, et Ramsès II avec Bentata, fille de son épouse Isetnéfert, et Mérytamon, fille de son épouse Néfertari. Mais ces cas sont sujets à caution. La thèse de l'inceste est fondée sur le fait que Bentanta et Mérytamon portaient le titre d'épouse royale.
Pourquoi ?
Il arrive que la fille de pharaon soit amenée à jouer ce rôle sans conséquences charnelles, mais pour des motifs purement rituels.
Comment s'expliquent ces incestes royaux ?
Il s'agit surtout de conserver le pouvoir au sein de la même famille. On a aussi avancé des explications mythologiques. Il existe effectivement un modèle prégnant avec le mythe d'Isis, à la fois femme et sour d'Osiris. Mais j'hésite toujours à établir un rapport effectif entre l'idéologie religieuse et les pratiques réelles.
Ces pratiques changent-elles après l'Egypte pharaonique ?
Sous la domination grecque des Ptolémées, l'inceste entre le pharaon et sa sour est systématique et mis au service d'une stratégie politique. On ignore ce qui se passe dans le reste de la société. En revanche, entre le 1er et le 3è siècle de notre ère, voici qu'on a mis en lumière un phénomène passionnant et stupéfiant. En effet, grâce aux recensements particulièrement méticuleux effectués par les Romains, on constate qu'un tiers des mariages était incestueux, et unissaient des collatéraux (frère et sour). Le comble est que, dans une même famille, on peut mettre en ouvre tantôt des stratégies matrimoniales incestueuses, tantôt des stratégies hors inceste. Nous sommes face à une véritable énigme du point de vue sociologique et anthropologique. Elle remet en question l'axiome selon lequel - c'est la thèse de Lévi-Stauss - la prohibition de l'inceste est fondamentale à la structure des sociétés. Propos recueillis par B. A. et A. K. |
Ensuite, les choses sont moins claires. Zahi Hawass a déclaré lors de la conférence de presse du 17 février au Caire que cette Younger Lady ne pouvait en aucun cas être Néfertiti. Son argument : on ne connaît pas les parents de Néfertiti. Or, si elle avait été d'ascendance royale, comme l'ont prouvé les analyses génétiques de la Younger Lady, cela serait forcément apparu dans les vestiges et les textes antiques. "Un indice extrêmement ténu, qui n'est pas irréfutable, remarque pourtant Pascal Vernus. Le problême de l'égyptologie est que la documentation est très incomplète, et souvent surinterprétée". En outre, l'égyptologue s'étonne que la mère de Toutankhamon puisse être une parfaite inconnue. "Cette Younger Lady dont on n'aurait jamais entendu parler, qui sort d'on ne sait où, tout en étant la mère d'un roi, voilà qui est étrange !" D'autant que l'archéologue britannique Joann Fletcher avait justement identifié en 2003, grâce à une campagne d'imagerie numérique, cette même KV35YL comme étant la probable momie de Néfertiti ! Mais, à l'époque, cela avait déclenché la fureur du bouillonnant responsable des Antiquités Égyptiennes, qui avait qualifié l'hypothèse de "stupide" et interdit la chercheuse de fouilles en Égypte. Zahi Hawass a-t-il parlé trop vite ? "Nul doute que dans les mois à venir, les égyptologues vont se déchaîner autour de cette inconnue", souligne Pascal Vernus. D'ailleurs, dès le 18 février, le lendemain de l'annonce, le site de l'Eurac, auquel appartient Albert Zink, l'un des généticiens qui a participé aux analyses, annonçait : "Nous cherchons toujours à déterminer si la Younger Lady ne pourrait pas se révéler être la célèbre Néfertiti"...
 Face à ces divergences, nous avons joint Zahi Hawass au Caire qui nous a déclaré : "Nous avons montré dans cette première étude qu'un lien existait entre la momie KV21a et le fotus de 7 mois dans le tombeau de Toutankhamon. Si nous découvrons qui est Ankhésenamon, nous pourrons identifier qui est Néfertiti"... Que cache cette déclaration sibylline ? Pour le comprendre, un petit retour en arrière s'impose. Sur l'arbre généalogique de Toutankhamon, quelques branches demeurent fragiles. Il reste ainsi à confirmer l'identification d'Ankhésenamon, sa sour-épouse. Deux momies, mises au jour en 1817 dans la Vallée des Rois (KV21a et KV21b, voir la carte) sont candidates. Par ailleurs, on a retrouvé dans la tombe de Toutankhamon deux fotus, l'un de 5 mois, l'autre de 7 à 9 mois. Les analyses ADN permettent de dire avec certitude que le pharaon était leur père. En revanche, elles sont insuffisantes pour déterminer leur mère. Cependant, comme le fait remarquer Zahi Hawass, certains marqueurs indiquent un lien génétique possible (FGA23 sur le tableau) entre le fotus de 7 mois, la KV21a et la Younger Lady. Si ce lien était confirmé, cela signifierait que la KV21a est Ankhésenamon. Et comme il est avéré par les textes que la jeune reine était fille de Néfertiti... la Younger Lady serait bien la mythique souveraine ! Autrement dit, par sa réponse, Zahi Hawass semble se contredire... mais il n'a pas souhaité s'en expliquer davantage auprès de nous.
Deux laboratoires dédiés à l'étude de l'ADN ancien ont été spécialement montés au Caire pour mener cette grande campagne d'études génétiques. L'un, sous le musée du Caire, a été en partie financé par la chaîne américaine Discovery Channel qui a mis 5 millions de dollars sur la table pour s'assurer l'exclusivité de certains documentaires. L'important, pour Zahi Hawass, était que ces recherches se fassent en Égypte, sous la seule autorité de scientifiques égyptiens. Car autour de la dépouille de Toutankhamon, l'enjeu n'est pas qu'archéologique, il est aussi politique. D'abord parce qu'au pays des pharaons, les recherches de filiation sur les momies royales sont un sujet sensible. Des courants nationalistes ont craint que des analyses biaisées trouvent des origines étrangères, voire sémitiques, à certains pharaons. En particulier Akhenaton, souvent présenté comme le promoteur d'une forme primitive du monothéisme, et parfois associé à Moïse. En 2001, le ministère égyptien de la Culture avait d'ailleurs interdit au dernier moment les prélèvements d'ADN sur des ongles, cheveux et os de Toutankhamon qui devaient être réalisés par une équipe japonaise.
Plus fondamentalement, depuis sa nomination en 2001, le directeur des Antiquités égyptiennes se bat, comme il le dit, pour "rendre l'égyptologie aux Égyptiens". Après la famille Toutankhamon, ce sera au tour de celle de Ramsès II : "Nous travaillons notamment sur la momie royale non identifiée du Nouvel Empire achetée par le musée Michael C. Carlos d'Atlanta et Sur la momie inconnue E, vraisemblablement le fils de Ramsès II".
En attendant, avec cette publication au retentissement mondial, Zahi Hawass a frappé un grand coup. Et montré que non seulement les Égyptiens se sont emparés de l'égyptologie, mais qu'ils l'ont projetée dans le futur, inventant, comme le disent les signataires de l'étude, "une nouvelle discipline : l'égyptologie moléculaire".Et si le trésor de Toutankhamon était désormais dans ses gènes ?
Bernadette Arnaud et Aline Kiner - SCIENCES ET AVENIR > Avril > 2010 |
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