Introduction à la Symbolique Hiéroglyphique

L'Exemple du " KA "

Aujourd'hui, la vision que nous portons sur le monde se nourrit de la promesse d'un Futur où l'homme serait enfin affranchi des poids du temps et de l'espace. La conquête des étoiles lui ouvrirait des portes vers un Ailleurs où il serait le Maître de l'Univers. L'avenir porterait en son sein l'antidote de la mort pour devenir Eternel.

Notre Présent orienté vers la consommation du "jetable" a donné les clefs au pouvoir dictatorial de l'Ephémère, fermant ainsi l'accès aux valeurs profondes des rapports entre l'homme et l'homme, mais aussi entre l'homme et Dieu. Le Futur est le fruit issu de la fleur que nous nous efforçons de faire pousser.
Mais il est à craindre que les traces laissées par notre irrespect des lois naturelles engagent les empreintes de notre avenir sous des pas signant notre déclin. Car pour que la fleur soit digne du jardin d'Eden, faut-il encore que les racines soient belles !

Qui dit racine, dit origine, commencement

Cet élément de base est fixé dans le Passé. Cette partie du temps révolu plus ou moins malmenée par l'Histoire est supposée nous donner une stabilité. Cependant, l'héritage du Temps nous transmet l'idée que l'être humain a presque toujours éprouvé le désir de rejoindre le Panthéon des dieux. La loi du plus fort investissant les actes, l'Histoire se dépeint comme une succession de destructions des peuples, lieux et systèmes de pensées, infligées par la volonté des conquérants d'imposer leurs us et coutumes.
Et pourtant il y a une ombre à ce tableau bien peu flatteur ; je dirais même son contraire, il y a une lueur qui, contre la force et les armes, a traversé le temps jusqu'à nous. Ce rayonnement qui semble doté d'une aura d'invincibilité nous irradie encore de son intensité par la magie des hiéroglyphes et des monuments tels que les pyramides, représentations des "rayons de soleil pétrifiés". Ces chefs d'ouvre érigés à la gloire de l'Eternel témoignent de la grandeur de l'Ancienne Égypte qui occupa près de 5 millénaires sur l'échelle du Temps (dont environ 3000 pour l'Égypte Pharaonique). Si cette civilisation de bâtisseurs se situe dans une époque lointaine, elle n'appartient pas pour autant au passé. Elle est peut-être plus que jamais présente. La volonté humaine d'éradiquer toute trace de ce peuple n'a pas eu raison de la lumière qui en émanait. Il faut avoir cette suffisance prétentieuse propre à l'homme pour oser un bras de fer avec les dieux !

Du haut de son vieil âge, l'Ancienne Égypte nous regarde avec les yeux d'un maître attristé par l'attitude irrévérencieuse des apprenti-sorciers que nous sommes. Pour ma part, je ne me permettrais en aucune façon d'endosser l'habit de l'historien ou du théologien, je n'en ai pas les moyens ; et de toute évidence, bon nombre d'experts en la matière s'attelle à la tâche pour comprendre ce peuple. L'entreprise est énorme et ô combien fascinante.. car entrer dans le pays des Sages, c'est certainement retourner dans la matrice des vérités spirituelles.

Ce voyage initiatique nécessite de réviser complètement notre optique de Pensée pour aborder les rivages d'une terre où les hommes aspiraient à l'accomplissement fusionnel avec le Divin. Mais par notre absence d'humilité, nous avons perdu de vue la carte géographique où le Ciel et la Terre ne faisaient qu'un et où le Temporel côtoyait l'Eternel.
En l'état actuel du fonctionnement de notre conscience, nous ne pouvons qu'effleurer du bout de notre intelligence la dimension infinie de l'Ancienne Connaissance dans la mesure où l'on ne peut se penser soi-même dans le rapport avec cette civilisation. Celle-ci savait que le langage établi entre elle et le divin trouverait toute son expression dans l'utilisation des symboles tels que les hiéroglyphes (du grec "hieros" : sacré et "gluphein" graver).

Chacun des signes hiéroglyphiques transmet 3 approches :
1. Le son : 1 son ou plusieurs sons dans le même signe
2. Lidée : ex : le dessin d'un homme qui reçoit de l'eau évoque l'idée de pureté
3. La forme réelle représentée : ex : le dessin d'un lion représente un lion.

D'autre part, à l'instar de l'écriture hébraïque, les voyelles sont absentes de l'écriture hiéroglyphique mais les signes leur ressemblant sont assimilés à des consonnes faibles. Cette faculté de communiquer l'indicible offrait une vision de l'intérieur car elle permettait d'entrer en contact direct avec la nature profonde de tout ce qui existe. Au cour même des monuments, des hiéroglyphes et du quotidien, cette recherche de la fusion des mondes terrestre et céleste fut conduite avec un tel désir de rectitude qu'elle a aboli l'épreuve du temps. En arrivant jusqu'à nous, la dimension symbolique de l'Égypte pharaonique nous invite à toucher la riche étoffe de son enseignement. Certains hommes ont eu ce privilège je pense bien sûr à Jean-François Champollion (1790-1832) Égyptologue français qui, en déchiffrant la Pierre de Rosette nous offrit la possibilité de découvrir le Code Sacré de l'Ancienne Égypte.
Si cette dernière se caractérise par l'aspect fondamental du rapport entre elle et les dieux, elle se différencie d'autre part dans sa manière d'aborder le concept de l'Ame. "l'Ame a deux yeux, l'un regarde le Temps, l'autre est tourné vers l'Eternité." Angélus Silésius (Théologien allemand du 17ème siècle).

Cette pensée évoque bien l'ambivalente étendue de l'Ame. Elle apparaît comme un lien indissociable entre le mortel et l'immortel. Perçue comme une puissance indéfinissable et insaisissable, elle se situe hors d'atteinte de notre pensée, de notre détermination expérimentale et de ce fait non vérifiable par le regard scientifique.
Le mot âme vient du latin "anima" qui veut dire "souffle, principe vital" ; "animus" représente le principe pensant. Il se rapporte aussi au grec "anémos" qui signifie "le vent". L'âme est l'impulsion originelle, l'essence même de Toute Vie.

La pensée théologique ordinaire a tendance à séparer l'âme du corps comme deux principes distincts et opposés dans le sens que l'homme serait un esprit dans un corps. La mort de ce dernier permettrait à l'âme de se libérer.
En revanche, l'Ancienne Égypte adopta une attitude complètement différente en l'égard de la religion et de la nature de l'âme. En considérant l'homme et toute forme de vie comme une âme incarnée, elle situe l'âme dans un espace conciliateur. En cela, l'unité du corps et de l'âme est la base sur laquelle repose la Foi de cette civilisation.
Pharaon, dont le terme égyptien "per-aâ" désigne "grande demeure", était l'incarnation d'Horus "le lointain", dieu à tête de faucon, fils d'lsis et d'Osiris. En tant que dieu incarné, Pharaon se devait d'exercer sa charge dans la plus juste équité afin de faire vivre Maât (fille du soleil Rê et épouse de Thot) qui dispensait la rectitude, la justice, l'ordre universel, la vérité. Si les égyptiens avait coutume de vénérer plusieurs divinités (environ 200), leur religion convergeait vers l'affirmation de l'Unité et de ce point de vue, révélait un fond monothéiste.

Le grand sage Ani (époque du nouvel Empire) évoque d'ailleurs cette finalité : "Dieu se manifeste dans des milliers de formes". Je cite aussi un passage d'un hymne d'Amon "le caché" souvent associé à Rê, apparaissant à un certain moment comme Dieu Créateur : "... Forme unique qui crée tout ce qui existe, Un qui demeure Unique, créant les êtres, Les hommes sont sortis de ses yeux, Les dieux sont venus à l'existence sur sa bouche, Salut à toi ! qui crées cela en totalité."
Cet extrait traduit d'un papyrus de la XVIII ème dynastie exprime bien l'unité de la nature divine.

De même, l'Ancienne Egypte considère l'âme comme une vérité première se définissant dans plusieurs formes indissociables qui conféraient à l'être la possibilité de retour à l'Unité originelle. De par la complexité de cette dimension, j'ai choisi d'évoquer en toute simplicité, 3 des 9 aspects essentiels de l'être (c'est-à-dire le corps, le cour, le bale ka, l'ombre, le nom, le sekhem, le sakh et l'akh)

LE "BA" : "Un homme doit accomplir ce qui est utile et lumineux pour son BA" : Merikarê.

Le ba est l'élément que l'on peut envisager comme le plus proche de notre compréhension de l'âme. Figuré sous forme d'oiseau à tête humaine mais aussi sous forme de cigogne dans la représentation hiéroglyphique, le ba subsistant après la mort a la faculté de révéler le potentiel divin et garde les propriétés inhérentes à l'être qu'il inspire. Une coutume funéraire illustre bien son caractère individuel le défunt embaumé (pour assurer sa conservation) portait un masque qui le représentait permettant ainsi au ba de reconnaître le corps qu'il animait.

LE "KA"

Le ka dont sa nature est d'une grande difficulté d'analyse pour notre esprit est l'énergie vitale de l'âme, la puissance créatrice s'exerçant dans tout ce qui existe. Tout en évoluant dans la particularité de chaque forme de vie, le ka se distingue du ba par sa valeur cosmique. Dynamisme nourriciel, il ouvre à la fois dans la vie et dans la mort. L'action du ka est essentielle car sa force créatrice est partout et participe à tout ce qui est. Pour exemple, la poudre minérale de la Malachite, un des composants des peintures murales des tombes, donnait vie aux personnages représentés en favorisant la réintégration du ka.
Par ailleurs, symbolisé par le signe hiéroglyphique de deux bras levés, le ka transmet l'idée d'une puissance magique de protection. Doté de la faculté de manipuler l'énergie, il prend alors l'aspect de génie, d'ange gardien, de double protecteur. Le pouvoir magique conféré au ka se retrouve dans le mot "heka" qui signifie la magie. D'autre part, en vertu de l'énergie qu'il dispense, le ka sert aussi à indiquer la notion du travail "kat".

L'AKH : "L'être de lumière est destiné au ciel", textes des pyramides.

Sous le signe hiéroglyphique d'un ibis à aigrette, l'akh est en quelque sorte la conception de la Perfection. Devenir akh, c'est atteindre le plus haut degré spirituel de l'être. Il est la force spirituelle appartenant au ciel, la source originelle, la lumière de l'esprit, la lumière divine. Akh en tant que racine d'un mot véhicule l'idée de lumière, de "bénédiction" ; "Akhet" signifie entre autres la tombe de Pharaon, la saison de l'inondation qui fertilise la terre, mais aussi l'horizon, lieu où le ciel et la terre se rejoignent.

Ces trois définitions sont certes des plus sommaires, j'en suis consciente ! Elles me facilitent cependant l'accès à la traduction de l'idée synthétique : la "nourriture" subtile du KA (cosmique) accorde l'énergie nécessaire au BA (individuel) pour réaliser son mouvement ascensionnel et retrouver ainsi son unité dans la lumière de l'AkH.

Avant de conclure ce bref exposé, j'aimerais ajouter quelques réflexions personnelles. Au cours de mes pérégrinations livresques, j'ai eu l'occasion d'accumuler un certain nombre d'informations dont quelques unes d'entre elles me semblent avoir des similitudes avec la nature spirituelle de l'Ancienne Égypte. Aussi je me permets de vous les proposer.

- Le terme KA, en plus des qualités que je vous ai énoncées, sert à désigner le fait de "penser". Cet aspect du KA ramène à ma mémoire une citation. Trois mots ont suffi à notre grand philosophe René Descartes pour exprimer l'idée que l'âme s'accomplit aussi à travers la pensée : "cogito ergo sum", "je pense, donc je suis".
- Au Japon : la religion Shintoiste désigne le terme "déité" par le nom de "kami". KAMI est ce que l'on peut définir comme un pouvoir sacré qui réside dans l'animé et dans l'inanimé. D'autre part, dans la tradition japonaise, la force créatrice présente en toute chose se nomme le KI.
- En Chine : la puissance créatrice représentée notamment par le symbole du Tao ("chemin du milieu") se nomme QI (ou CHI).
Ces pays d'Extrême-Orient utiliseraient cette force dans des pratiques telles que les techniques de méditation, les arts martiaux, la gymnastique (Qi Gong qui signifie : maîtriser l'énergie), et les thérapies énergétiques (acupuncture, Waiqi qui transmet l'énergie par les mains...).
- En Afrique : une tradition camerounaise veut que l'animal soit relié à l'homme par une force nommée KE. Pour exemple, je cite l'éléphant qui, par ses qualités de longévité, puissance et sagesse qui lui sont conférées, représente le chef de tribu.
- En Amérique de Nord : (Anzona) l'ethnie des Hopis croit en l'existence des esprits dont la force invisible protège et guide. Ces esprits s'appellent "KATCINA" (ou KACHINA) et sont invoqués à travers des motifs, des statuettes tihus et les danseurs masqués qui les personnifient.
- En Inde : la KUNDALINI, énergie spirituelle de l'être est représentée par un serpent lové au bas de la colonne vertébrale. Son. éveil se manifeste par son élévation qui permet lors de son passage l'ouverture des chakras (points de concentration d'énergie). Ce serpent me fait songer au "livre de la Jungle" (Rudyard Kipling) dont l'un des personnages de l'histoire qui se déroule en Asie n'est autre que le serpent KA !
- En Arabie Saoudite : à la Mecque, au centre de la Mosquée, se trouve la KA'BA (ou KAABA), grand édifice de pierre cubique. C'est vers elle que se tournent tous les musulmans lors de la prière. KA'BA vient du grec "kubos" qui signifie dé à jouer. Cependant, mon intuition me fait percevoir 3 symboles :
Le KA : dans son aspect universel de l'âme
Le BA : dans son aspect individuel de l'âme
Le CUBE : dont une de ses notions symboliques représente le Monde Matériel.
Dans cette optique, la KA'BA manifesterait en quelque sorte l'idée de pénétration de l'Esprit dans la Matière.
- La KABBALE (ou CABALE) : Dérivé de l'hébreu "qabbalah", la kabbale est une tradition juive dont la philosophie est panthéiste. À la fois métaphysique et pratique, son enseignement dont le point de départ est l'alphabet hébraïque, révèle Dieu, l'Univers et l'Homme à travers le sens caché des 22 lettres qui correspondent chacune par leur puissance à une lettre, un nombre, une idée. Par la connaissance symbolique, cette science ésotérique initie l'homme à réaliser en lui la fusion avec le divin.
Pour des raisons historiques, religieuses et initiatiques, cette tradition est intimement liée aux mystères de l'Ancienne Égypte.
Le personnage de Moïse (de l'hébreu : Mosché) représente bien le trait d'union qui détermina la continuité des relations entre ces 2 peuples. Né en Égypte de parents hébreux, il est élevé à la cour de pharaon Ramsès II (XIIIè siècle avant J.C). Constructeur de l'Arche d'Alliance, Moïse, initié à la Connaissance Égyptienne, guidera le peuple hébreu vers le pays de Canaan (nom biblique de la Palestine), lui donnera une religion et une loi (la Torah).

Tout ceci m'amène à vous proposer l'idée que le mot "kabbale" peut recueillir 2 influences :
- l'influence égyptienne : elle se manifesterait par les présences du KA (aspect universel de l'âme) et du BA (aspect individuel de l'âme).
- l'influence hébraïque : elle se révélerait par la présence des lettres Qoph, Beth, Aleph.
Qoph : valeur 100, force pure qui descend vers la force impure pour trouver la sagesse à travers leur réunification. (Par extension, je signale que le préfixe grec "kata" d'où découle "cata" indique un mouvement de haut en bas). J'assimile cette lettre au KA dans son aspect universel.
Beth : valeur 2, représente la maison, la demeure, la création du monde. J'assimile cette lettre au BA qui conserve les propriétés du corps qu'il anime.
Aleph : valeur 1, représente l'impulsion originelle, le souffle divin, la source d'où découle la création du Monde, l'Unité.

Sous cet angle, qui j'en conviens n'engage que moi, le mot "kabbale" indiquerait le sens profond de son initiation. À l'image du cheminement de l'âme égyptienne, la kabbale enseigne l'accomplissement de l'unité par la réunion du corps et de l'esprit.

Ici s'achève cette petite promenade autour de l'âme de l'Ancienne Égypte qui, tel un Kaléidoscope, joue avec les reflets de sa lumière pour rayonner à l'infini.
Actuellement notre conscience, formatée et conditionnée par la notion physique et les science admises, est dans l'incapacité de vivre l'état d'être de ce peuple. Tant que nous n'émergerons pas du sommeil lesté du poids de notre réalité concrète, Sphynx, gardien de cette terre magique ne dévoilera pas l'énigme de la Connaissance Égyptienne. Mais si l'on s'en montre digne, alors peut-être un jour.. lointain ? "Vouloir, Oser, Savoir, se Taire".

Isabelle STIVE : écrivain - Les Mondes de l'étrange > Nov-Dec > 2007
 
   

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