Énigmatique, démesurée, la pyramide de Khéops est, à elle seule, un mythe. Des générations d'érudits et d'aventuriers se sont échinées à expliquer sa construction, à fouiller ses entrailles, à identifier son commanditaire... Des contes aux récits historiques, l'ultime merveille du monde antique a engendré un nombre incalculable de théories, parfois savantes, régulièrement délirantes. Après 4600 ans de mystère, beaucoup estiment qu'elle a désormais livré ses principaux secrets... Et pourtant ! Pour certains passionnés, l'affaire n'est pas close. Balivernes de "pyramidologues" amateurs ? Pas si sûr. Depuis peu, de nouvelles hypothèses surgissent, prétendant qu'il reste des chambres inconnues à découvrir au coeur de la plus grande pyramide d'Égypte... Au regard de son passé mouvementé, difficile d'imaginer que quelque chose est pu échapper, non seulement aux égyptologues qu'il ausculte depuis le XIXe siècle, mais aussi aux cohortes de pillards qui furent à toutes les époques attirés par les richesses supposées enfouies dans l'édifice. Car que ne devait contenir la chambre funéraire d'un pharaon capable d'une telle prouesse architecturale ! Eblouis par des histoires de trésors d'albâtre et de bijoux, les voleurs ont forcé l'entrée de la pyramide à coups de barre à mine, attaqué ses pierres de calcaire au vinaigre, au feu et même à l'explosif, arraché son beau parement clair - ils ont même éventré sa petite voisine dédiée au roi Mykérinos...
Ainsi, ce n'est qu'en 1756 que les égyptologues découvrent que la chambre du roi, connue et visitée depuis al-Mamoun, est surmontée d'un petit espace technique appelé "chambre de décharge" ; quatre autres seront débusquées à partir de 1837. La chambre souterraine, elle, ne sort de l'oubli qu'après 1816. Quant aux deux conduits d'aération de la chambre de la reine, trouvés dès 1872, ils ne sont explorés qu'en 1993. Deux autres hypothèses sont venues relancer le débat, évoquant à leur tour l'existence de nouvelles chambres, aux architectures totalement différentes, et de nouveaux couloirs. Pourquoi ces pistes inédites ? Sur la foi de quels arguments ? Plongée au cour des ultimes secrets de la grande pyramide de Gizeh...
Et si l'on était passé à côté de deux grandes antichambres, pourtant presque accolées à la chambre du roi, ainsi que du réseau de couloirs les reliant, elles et la chambre de la reine, à l'entrée de la grande pyramide, laquelle paraît justement surdimensionnée ? Voici l'hypothèse audacieuse exposée le 27 janvier dernier par Jean-Pierre Houdin. S'il n'est pas égyptologue, l'architecte français n'est toutefois pas un inconnu dans le domaine : il avait déjà frappé un grand coup en 2007 en suggérant que la pyramide de Khéops aurait été édifiée à l'aide d'une rampe interne hélicoïdale, en plus de la classique rampe externe. Encore plus iconoclaste, il avait avancé que son impressionnante grande galerie n'avait pas un rôle funéraire mais technique, servant en fait à hisser les lourds blocs de granit de la chambre funéraire royale... Des hypothèses toujours débattues, qu'il continue à affiner. LES INDICES
Après étude du plan des pyramides, rhomboïdale et rouge, de Snéfrou (père de Khéops), cette absence d'antichambres semble être à Jean-Pierre Houdin une rupture de l'évolution de l'architecture interne : les artisans égyptiens, maîtres dans l'art de faire évoluer les acquis de leurs prédécesseurs, auraient ici "oublié" les chambres en encorbellement qu'ils venaient de porter à leur apogée ? De plus, avec 10 mètres sur 5, la chambre du roi, si elle a abrité la momie, ne pouvait contenir qu'un mobilier funéraire minimaliste. Et la chambre de la reine est encore plus petite... À partir de ce constat, l'architecte a rapproché les plans de Khéops et de la pyramide rouge, qui la précède. Et là, surprise : "Cinq points de jonction évidents sont apparus !" Sans compter que le nouvel ensemble, soit deux antichambres en enfilade précédant une chambre funéraire construite plus en hauteur, s'intercale bien à côté des éléments connus, voire expliquerait certains décalages (couloirs, grande galerie). Une trop belle coïncidence ? Certains égyptologues le pensent, et pointent un rapprochement un peu rapide en arguant que, pour les pyramides de la IVe dynastie, l'économie intérieure différait considérablement d'un monument à l'autre : à Abu Rawash, par exemple, l'infrastructure funéraire se résume à une seule antichambre, suivie du caveau.
Tant la chambre du roi que celle de la reine disposent de 2 petits conduits dits "d'aération" (seuls ceux du roi affleurent à la surface de la pyramide). Si ceux partant côté sud de la pyramide sont rectilignes, ceux du nord ont des trajets étrangement coudés. Pour le conduit partant de la chambre du roi, cela s'explique par la présence du plafond de la grande galerie qu'il fallait éviter. Mais pour le conduit partant de la chambre de la reine ? Aucune structure connue actuellement ne justifie les nombreux coudes observés : s'il n'avait fallu éviter que la grande galerie, un détour bien plus faible suffisait (environ 1 m contre près de 5 dans les faits). En revanche, la présence du couloir d'accès aux 2 antichambres du "circuit noble" proposée par Jean-Pierre Houdin pourrait l'expliquer.
La chambre du roi est surmontée de 5 "chambres de décharge", avec une voûte à chevrons qui libère le volume situé en dessous du poids colossal de la pyramide, en déviant latéralement cette charge. Or, la chambre du roi avec son plafond plat, ne nécessitait qu'une seule chambre de décharge pour l'installation de sa dalle... Alors, pourquoi 5 superposées ? Pour protéger les antichambres propose J-P Houdin. En surélevant la voûte, elles dévient la charge au-dessus des 2 antichambres qu'il suppose construites en encorbellement, et donc sensibles aux forces latérales. Mais ce net surdimentionnement pourrait aussi bien s'expliquer par un souci de sécurité, tempèrent certains...
Certaines particularités de la chambre du roi ont mis Jean-Pierre Houdin sur la piste d'un passage potentiel vers les antichambres. Déjà, il y a ces coups de fusil tirés un peu au hasard au XIXe siècle sur place et dont les échos trop nombreux ont, dès cette époque, suggéré la présence de pièces encore inconnues. Ensuite, il y a cette "sape" (tranchée) attribuée au calife al-Mamoun, creusée dans le sol entre le sarcophage et le mur nord. Pourquoi à cet endroit précis ? Un détail aurait pu attirer l'attention du souverain sur ce coin de la chambre royale, du sable par exemple, subodore Jean-Pierre Houdin. Mais ce sont d'autres types de détails qui ont attiré l'oil de l'architecte sur le mur nord lui-même. Si la seule entrée connue de la chambre du roi est sur son côté est, la disposition des pierres sur son côté ouest révèle la présence possible d'un portique d'accès jusque-là passé inaperçu. En effet, le bloc supérieur est assez long pour servir de linteau et il repose sur deux "piliers". La colonne de pierre entre eux (ci-dessous en orange) n'a pas de rôle structurel : les 3 blocs supérieurs sont du remplissage ; quant au dernier, "cette pierre est libre, pose Jean-Pierre Houdin. Pour moi, il y a quelque chose derrière".
Et si ce qu'on pense être la chambre du roi n'était finalement qu'un cénotaphe, dont le cercueil n'a jamais été qu'une coquille vide ? Le vrai tombeau funéraire de Khéops devrait encore être retrouvé ! De même qu'une autre pièce proche du couloir horizontal, et leurs couloirs d'accès respectifs. C'est l'intrigante hypothèse que portent les archéologues Francine Darmon et Jacques Bardot, après plus de 22 ans de travail. LES INDICES
Pourquoi les lourdes poutres de granit (plus de 40 tonnes en moyenne) de la chambre du roi et des chambres de décharge qui le surplombent se sont-elles fissurées ? Une oscillation horizontale étant moins probable qu'un déplacement vertical, "c'est un affaissement des murs sud et des poutres de granit qui a causé les fissures, estime Bardot. Et il est dû à des structures inférieures plus molles, moins homogènes, que du côté nord". Ce déséquilibre viendrait de la présence d'un "point dur" sous le mur nord, "par exemple, les voûtes à chevrons d'une chambre inconnue à cet endroit" expose l'archéologue. D'autres spécialistes indiquent toutefois que de simples varaitions de la qualité de la maçonnerie sous la chambre du roi pourraient avoir des conséquences similaires.
Plusieurs campagnes de prospection non invasives ont parfois conduit à des résultats étonnants. Ainsi, à la fin des années 1980, la Compagnie de prospection géophysique française (CPGF), avec EDF, avait mené un ensemble de mesures microgravimétriques : des zones de sur et de sous-gravité avaient été envisagées "en contrebas du couloir horizontal menant à la chambre de la reine, là où les archéologues positionnent l'une de leurs chambres inconnues. Une seconde zone avait montré des anomalies : sous la chambre des herses, qui précède celle du roi... C'est-à-dire à l'emplacement de ce qui serait la vraie chambre funéraire royale. L'université de Waseda (Tokyo) publia également, en 1987, d'intéressantes données de microgravimétrie et d'imagerie radar. Le professeur Sakuji Yoshimura détecta une longue cavité courant à 4 ou 5 m du couloir horizontal sur près de 30 m (ci-contre, la restitution informatique de la réflexion des ondes électromagnétiques le long du mur ouest de ce dernier). Il en décela une autre (ou la même ?) arrivant près du mur nord de la chambre de la reine. Des résultats qui s'accordent en partie avec ceux de la CPGF et pourraient correspondre aux couloirs d'accès reliant les chambres inconnues. Des mesures complémentaires avaient été prévues par l'équipe japonaise pour mieux interpréter ces informations... mais celle-ci ne reçut jamais l'aval des autorités égyptiennes.
L'analyse des clichés de la maçonnerie du couloir horizontal menant à la chambre de la reine a montré la présence de faux joints, invisibles à l'oil nu. Identifiés, les vrais joints ont permis aux deux archéologues de cerner la taille et le nombre réel de pierres. Surprise : 2 accès possibles apparaissent sur le mur ouest et ils font 105 cm de large (2 coudées royales), soit la dimention des accès royaux de l'époque. Le premier rejoindrait l'une des 2 salles inconnues. Un autre espace 2 fois plus large fait face au second, ce qui peut en faire une "chambre de manouvre" : une telle organisation existe dans la pyramide voisine de Khéfren, et servait à passer les objets encombrants - un sarcophage par exemple... 4/ Le symbole du double tombeau La conception des tombes royales a beaucoup évolué sous l'Ancien Empire. Au début, les rois ont eu 2 tombeaux : l'un au sud du pays (vide, un cénotaphe), l'autre au nord. Puis le roi Djoser (IIIe dynastie) les réunit dans un unique complexe, à Saqqarah. Vinrent ensuite une pyramide nord et une petite pyramide sud. "Nous pensons que Khéopsa été plus loin et a intégré sa tombe sud dans sa pyramide", pose J. Bardot : la chambre dite du roi, vide, serait ce tombeau sud, en granit d'Assouan - ville du sud. le tombeau nord (en 2 parties, la chambre dite de la reine, et la vraie chambre funéraire royale, adjacente), serait en calcaire du Tourah, pierre du nord. Cette interprétation n'est pas la seule possible...
Plusieurs détails dans l'agencement des murs sud et ouest de la chambre de la reine ont intrigué les 2 archéologues, dont un étonnant "placage" à la sortie du conduit d'aération du mur sud. "Pour nous, ces 2 murs ont été maquillés de façon importante, indique Bardot, qui y voit un élément clef. Les architectes de Khéops y auraient plaqué un parement de calcaire de 15 cm d'épaisseur". Pourquoi un tel camouflage ? Pour masquer l'accès à la vraie chambre funéraire, légèrement en contre-haut du mur ouest - l'Ouest étant symboliquement lié à l'au-delà pour les anciens egyptiens. L'accès étant invisible, impossible de le localiser. Mais au pieds du mur, une longue dalle large de 106 cm (les accès royaux sont de 105 cm) offre une piste intéressante... Voir aussi la "Supposition concernant l'emplacement d'une chambre inviolée".
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